FICHE III – 25. L’instant arrêté. Les clichés clandestins de Birkenau

Publié le 30 Juillet 2009

L’instant arrêté. Les clichés clandestins de Birkenau

Une photo ? C'est l'instant qui s'arrête, les sentiments qui demeurent et la vie qui s'en va.   Jérôme Touzalin
Extrait de Futur Intérieur

Auschwitz II Birkenau a été conçu pour être un abattoir humain. On connaît son fonctionnement : le train, bondé d’hommes, de femmes et d’enfants, pénétrant dans le camp ; la sélection se faisant immédiatement sur la rampe, juste en face des chambres à gaz. Les gens dirigés dans la file de gauche étaient immédiatement conduits à la mort. Ceux de la file de droite travailleraient avant d’être gazés plus tard.

En août 1944, les nazis décident « la liquidation » du camp des Tziganes. Les cadavres sont trop nombreux et les fours crématoires ne suivent pas la cadence infernale. Les 2897 Tziganes inaptes au travail, encore à Birkenau, sont conduits après l’appel du soir derrière le four IV, où ils sont gazés puis brûlés dans des fosses. On peut voir sur une photo aérienne, prise ce soir-là par un avion anglais, l’immense colonne de fumée qui sort de ces fosses.

 

Le musée d’Auschwitz conserve 4 clichés de bûchers, datant eux aussi d’août 44, mais qui ont été pris près du K V. Alter Fajnzylberg explique dans une déposition que l’appareil photo lui a été fourni par David Szmulewski qui travaillait au Blockschreiber. Il s’agissait d’un petit appareil du genre Minox, récupéré parmi les biens confisqués aux déportés. Ces photos auraient été faites par un Juif Grec du nom d’Aleks pendant que trois de ses camarades faisaient le guet. L’appareil fut enterré à proximité du crématoire et la pellicule rapportée à David Szmulewski qui la fera sortir du camp pour la remettre à la Résistance polonaise de Cracovie. On peut lire le récit de cette histoire dans « L’Express » du 23 septembre 1993.

 

Après la libération ces photos seront reproduites dans la presse mais souvent retouchées et recadrées.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On voit de quelle façon la photo a été recadrée et retouchée. Le parti pris de lisibilité est compréhensible mais en nous rapprochant du Sonderkommando et des victimes, le cliché fait oublier son auteur : l’encadrement de la fenêtre le désigne, terré dans le local d’un four gavé qui ne parvient plus à avaler. Ce regard cyclopéen sur le bûcher, ajoute certainement à l’horreur.

 

 

 


 

 

 


Le zoom avant permet cependant de saisir des détails intéressants et troublants. Ainsi, on peut voir que l’homme qui se tient à gauche du groupe porte dans sa main droite un masque à gaz. On comprend le rôle qui est le sien dans le travail de l’équipe. Ce détail l’individualise. Face à lui, les mains sur les hanches l’homme plus grand que lui semble l’interroger. Un troisième homme porte sa main gauche à sa casquette. Reprend-il son souffle ? Que se disent-ils ? L’un d’entre eux sait-il que l’on fixe son image ?

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aleks (si c’est bien lui qui tient l’appareil) s’est légèrement déplacé entre les deux clichés. En supprimant le cadre, on l’oublie alors qu’il cherche fébrilement le meilleur angle de vue. En d’autres termes, on supprime l’embusqué qui dénonce l’horreur ; et les membres du sonderkommando qui s’affairent ressemblent alors à un groupe de paysans au travail.

 

 

 


 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aleks fléchit les jambes, la contre plongée distend les lignes, la fenêtre fait songer à une guillotine. Les femmes se sont dévêtues. L’angle oblique crée un effet dramatique dont n’est certainement pas conscient le photographe : les victimes montent au supplice.

 

 

 

 

Ce témoignage photographique est essentiel dans la construction de la mémoire de la Shoah. Il offre sinon des visages mais des silhouettes d’hommes et de femmes à la transmission d’un savoir indissociable de l’émotion. La peur et la révolte du photographe caché dans son trou noir nous touchent aussi particulièrement car sa peur est palpable.

 

 

Rédigé par Pascal Sabourin

Publié dans #Série III - Dire l'Indicible

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A
David SZMULEWSKI a publié ses mémoires en yiddish en 1984 sous le titre "Souvenirs de résistance à Auschwitz-Birkenau". Je suis en train de le traduire en français. Il est décédé à Paris le 15/01/1990 et est inhumé dans le cimetière du Père-Lachaise avec, pour seul ornement de sa tombe, le blason des Brigades Internationales, au sein desquelles il a combattu pendant la Guerre d'Espagne, contre Franco. Si vous le désirez, je peux vous envoyer la photo de sa tombe
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A
Nous vous remercions de vos notes approfondies. Pouvez-vous s'il vous plaît nous dire quand une traduction sera disponible pour les chercheurs. A propos d'une réponse directe, nous serions très heureux, nous vous remercions et nous vous souhaitons beaucoup de succès!
L
Merci pour votre réponse et pour les liens !
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L
Bonjour.<br /> Merci de cet article. A propos de ces photos, vous serez peut-être intéressé par le site www.sonderkommando.info en général et par la page du 15 mai 2007 de son blog ( http://www.sonderkommando.info/blog/index.php?/page/4 ).<br /> Par ailleurs, la mise en place de fosses de crémation près des crématoires est liée à l'arrivée à Birkenau des convois de Juifs Hongrois (plusieurs centaines de milliers de victimes) du printemps 44, donc antérieure à l'extermination des trois mille derniers prisonniers du "Camp des Tziganes" (nuit du 02 au 03 août 44).<br /> Enfin je serais intéressée à titre personnel de connaître la source permettant de dater la photo aérienne que vous évoquez. A ma connaissance, même le Musée d'Auschwitz dit seulement "été 44" ( http://en.auschwitz.org.pl/m/index.php?option=com_ponygallery&Itemid=3&func=detail&id=410 ). Je vous en remercie à l'avance. <br /> Cordialement.
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P
<br /> Tout d'abord, merci pour l'intérêt porté à notre travail .<br /> Nous connaissons effectivement l'existence du blog consacré aux Sonderkommando - il nous faudra d'ailleurs indiquer ici les références Internet indispensables.<br /> En ce qui concerne votre question, la datation implicitement donnée dans l'analyse des clichés semble en effet pour le moins discutable, comme vous le soulignez avec pertinence ; si les bûchers<br /> photographiés clandestinement correspondent bien à l'assassinat des derniers prisonniers tziganes de Birkenau (nuit du 2 au 3 août), leurs fumées ne peuvent apparaître sur la photographie aérienne<br /> réalisée le 23 août à 11 heures (voir notamment  http://www.aidh.org/Racisme/shoah/auschw_2.htm)<br /> Mea culpa pour cette approximation chronologique.<br /> Je me permets de vous indiquer un article très intéressant de Nathalie Roelens sur la question des clichés d'Auschwitz:<br /> <br /> http://revues.unilim.fr/nas/document.php?id=1945<br /> <br /> Bien cordialement<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />
F
Bravo pour ce témoignage sur ce que ces clichés ont d'exceptionnel. Merci de leur rendre leur force première.
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M
Il est important de montrer ce que les nazis ont fait
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